À la lumière de Renoir, la biographie romancée de Jeanne Baudot, considérée comme l’unique élève de Renoir, est sortie en mars 2020 aux éditions Ramsay.
L’ouvrage a été couronné par le prix Charles Oulmont de la Fondation de France en novembre dernier.
Jean-Marie Rouart de l’Académie Française m’a fait le grand honneur de préfacer mon ouvrage. Je ne résiste pas au plaisir de partager ce magnifique texte avec vous :
Jeanne Baudot dans la lumière de Renoir
C’était ce qu’on appelle une originale. Avec ses grands chapeaux, ses tenues excentriques, sa voie gutturale qui au téléphone était l’objet de méprise : on lui disait « bonjour monsieur », ce qui la faisait rire, elle ne passait pas inaperçue. Elle en jouait d’ailleurs, détestant la platitude et la banalité. Jeanne Baudot adorait se déguiser, en homme bien sûr, par provocation. Elle avait eu un grand amour dans sa vie, après son père, qu’elle avait adoré, c’était Renoir. Elle avait été son élève et elle ne pouvait se détacher de lui : mort depuis près de cinquante ans, il demeurait étrangement présent pour elle. Elle l’évoquait à tout propos et les larmes lui montaient aux yeux, elle qui pourtant dissimulait ses émotions sous un masque impérial. Renoir est l’un des rares grands artistes à avoir éclairé le monde de son génie, mais aussi d’une humanité, d’une bonté, que ne pouvaient oublier ceux qui l’avaient connu. Aussi Jeanne Baudot était-elle liée avec beaucoup des membres de ma famille : ma grand-mère Christine Lerolle, dont Renoir a fait plusieurs portraits, dont les fameuses jeunes filles au piano du musée de l’Orangerie, mais aussi bien sûr ma tante Julie, la fille de Berthe Morisot. Il fut son tuteur et en a fait plusieurs portraits dont le fameux Julie au chat. Je me souviens de leurs palabres infinies rue de Villejust, ou au téléphone, ou encore avec Jeannie, l’épouse de Paul Valéry. Elles n’arrivaient pas à se séparer, à rompre ce lien qui les rattachait au monde enchanté dans lequel elles avaient vécu. Je dois être l’un des derniers à avoir connu cette femme dont le pinceau se souvenait des leçons de Renoir. J’ai connu aussi son fils adoptif, Jean Griot, qui fut l’un des directeurs du Figaro et auquel je dois d’être entré dans ce grand journal. Je lui dois aussi de m’avoir fait déjeuner dans l’ancienne maison de Jeanne Baudot à Louveciennes avec Jean Renoir. Un moment d’enchantement difficile à oublier. C’est la magie de ce monde englouti que fait revivre Michèle Dassas. Renoir y est partout en filigrane dans son livre, comme il est présent dans ma famille pour avoir donné une éternité, celle que seul donne l’art, aux visages de tant de parents aimés. C’est dire tout le plaisir que j’ai eu à lire ce livre.
Jean-Marie Rouart de l’Académie Française
Jeanne Baudot par Renoir, de face et de trois quarts.
Quelques mots de présentation :
Ce roman nous plonge dans le monde de la peinture impressionniste. Une belle démonstration de la pugnacité d’une femme face aux préjugés liés à son sexe et au « Nouvel Art ». L’histoire d’une folle passion aux vertus rédemptrices. Pour Jeanne Baudot, l’émancipation se traduit par un épanouissement personnel via l’exercice de son art.
À la lumière de Renoir débute en 1893, juste avant la rencontre de Jeanne Baudot avec Renoir, grâce à Paul Gallimard son cousin par alliance. Fille du médecin-chef de la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest, elle n’a que seize ans, cette petite rebelle qui désire prouver qu’une femme est capable d’avoir sa place parmi les peintres adeptes du Nouvel Art. Elle deviendra la seule véritable élève du maître avec lequel elle nouera des liens très privilégiés d’amitié et de complicité. Nous allons la suivre durant toute son existence, à travers des anecdotes, mais aussi à travers ses questionnements sur sa sexualité, sur son engagement. Pourquoi n’aspire-t-elle pas au mariage, à la maternité comme les autres jeunes filles bourgeoises ? Pourquoi aime-t-elle tant se travestir ? Qui est-elle vraiment cette jolie femme brune que Renoir peignit de face et de trois-quarts sous un chapeau fleuri ?
Coquette, séduisante et joyeuse, évoluant dans la sphère élitiste d’intellectuels, d’artistes et de collectionneurs parisiens de la Belle Époque, elle a beaucoup de succès auprès des jeunes gens, et surtout auprès d’Edouard, élève comme elle à l’Académie Julian. Elle se lie d’amitié avec les petites Manet et profite des plaisirs d’une jeunesse dorée. L’été 1899 à Givry en leur compagnie marquera le paroxysme de cette période de bonheur et d’adolescence prolongée.
Alors que la plupart de ses amies se fiancent et convolent, Jeanne suit un tout autre chemin : celui de l’indépendance, du plaisir de peindre, de ce désir obscur et continuel qui la pousse à vouloir saisir l’instant présent pour l’immortaliser sur la toile.
Et le talent dans tout cela ? Est-elle sûre d’en avoir vraiment ? Comment s’épanouir à la lumière d’un génie ? Comment faire sa place ? Elle devra apprendre la patience, faire preuve de ténacité et aussi d’humilité. Or Jeanne bénéficie d’une heureuse nature. Rares seront ses phases de découragement, comme si elle avait choisi, une fois pour toutes, sa place dans l’ombre ou plutôt à la lumière du maître. Satisfaite d’être là, témoin de la création d’une œuvre, miracle constamment renouvelé.
À la lumière de Renoir, c’est aussi la vie après la disparition du peintre et après le cataclysme de la première guerre mondiale qui sonna le glas de la Belle Époque et de son insouciance. Et que faire de toutes ces années qui lui restent à assumer seule sa passion, avec le souvenir omniprésent du maître ? Renoir lui aura appris à contempler la nature, à jouir des plaisirs simples, à ne voir que l’aspect positif des choses, à faire fi des souffrances physiques. Son enseignement ne se limita pas à la peinture, c’est toute une philosophie de la vie qu’il lui inculqua.
Son parcours personnel est alors illuminé par la rencontre d’une femme qui va l’accompagner jusqu’au bout, lui apportant tendresse, sérénité et un fils d’adoption qui deviendra plus tard rédacteur en chef du Figaro.
À la lumière de Renoir est un exemple de destin marqué par un désir de résilience. Jeanne restera toujours éprise de son Art, oublieuse du temps qui passe et comme indifférente aux catastrophes qui secouent le monde, se concentrant sur l’immuable beauté de la nature, la « Beauté pure », seule valeur indéfectible.
Michèle Dassas