extrait du recenseur

En attendant la maîtresse de maison, Antoine ajuste le jabot de sa chemise, lisse les plis de sa redingote et passe, d’un geste rapide, le coin de son mouchoir sur ses bottes poussiéreuses. Il désire faire bon effet. Un peu intimidé par le luxe ambiant, il ressent une vague appréhension. Comment va-t-on le recevoir ? Il ne s’était pas posé la question jusqu’à cette minute, certain d’un accueil cordial, puisque le maire lui avait généreusement offert le gîte et le couvert sous son propre toit. Un grand honneur, assurément ! Mais, tout à coup, il doute. N’est-il pas un intrus ? Une sorte d’inquisiteur qui va sévir, trois semaines durant, dans une petite communauté dont les membres sont unis par des liens de parenté, un passé, une histoire. C’est une grande famille qui va devoir accepter les questions indiscrètes d’un étranger… D’ailleurs, les quelques villageois qu’il a croisés, tout à l’heure, l’ont regardé de biais, avec une certaine méfiance, lui a-t-il semblé.

Antoine sent un poids l’oppresser. Trois semaines !… Pourvu qu’il ne se décourage pas, qu’il mène à bien sa tâche. Tout compte fait, il aurait presque préféré descendre à l’auberge, dans un humble garni, dont le prix ordinaire est de deux sous la couchée, à cette cohabitation l’obligeant à une constante représentation. Il est bien regrettable que son oncle habite un logement modeste dépourvu de chambre d’appoint !

L’apparat aristocratique qui déjà transparaît dans le vestibule donne un avant-goût du reste…

Les murs couverts de miroirs lui renvoient sa silhouette démultipliée sous les ors des cadres et des lambris sculptés, tandis qu’au-dessus de sa tête brillent les pampilles d’un lustre volumineux suspendu au centre d’une fresque représentant des anges voletant autour d’un soleil.

Tout à coup, la porte s’ouvre, et dans un bruissement de soie apparaît une femme, de belle taille, très élégante, dont le visage, aux traits parfaits, lui rappelle celui d’une déesse antique dans son livre d’histoire : des yeux noirs immenses, ornés de longs cils, un nez droit et petit, une bouche dessinée au pinceau, un teint pâle qui contraste avec les boucles brunes qui coulent le long des pommettes…

Il esquisse un salut, sans pouvoir articuler un mot, tant sa surprise est grande. Quelle créature magnifique ! Quel regard de feu qui trouble profondément l’humble visiteur jusqu’à lui faire perdre contenance !

Une femme, au port altier, qui se meut avec une gracieuse vivacité, une femme dans toute la plénitude de sa beauté que rehaussent la robe écarlate, les broderies, les dentelles, une femme à mille lieues des mères de familles, paysannes aisées ou bourgeoises, qui attendent à la sortie de l’école, ou encore des quelques jeunes filles qu’il a coutume de fréquenter dans sa bonne ville d’Aubigny. Elle lui évoque, sans les avoir jamais rencontrées, les dames de Paris ou les actrices dont les gazettes reproduisent les portraits avec moult détails sur leurs amours tumultueuses.